Et si les étangs et lagunes devenaient des champs de culture ?
L’expérimentation débutera en février, accueillie par la Méridionale Salinière, à La Palme (Aude) précisément.
Au départ, il y a des constats : la mer monte, les terres fertiles s’éloignent de plus en plus de la côte en raison de la forte salinité du littoral, les jeunes agriculteurs ont donc de plus en plus de mal à s’installer faute de moyens, sauf à partir loin de la mer, la population locale est demandeuse de produits du pays et de circuit court.
D’où l’idée, qui peut paraître saugrenue, de François Plassard et de ses amis de l’association Paysans Terre Mer de créer des « tortues maraîchères aquaponiques ». « La mer monte, allons à la mer ! », s’exclame l’ingénieur agronome dont le regard n’est plus tourné vers les terres, mais vers les lagunes du Narbonnais. Il y voit un potentiel de 12 000 hectares de zones cultivables. Et une solution face au réchauffement climatique.
Depuis plusieurs mois déjà, une « tortue maraîchère aquaponique » en modèle réduit est en phase de test sur la terre ferme. Et cela fonctionne plutôt bien. La tortue (référence à sa forme) est une plateforme flottante équipée d’un système de culture maraîchère sous serre. Des poissons d’eau douce et des plantes se nourrissent mutuellement en circuit fermé, sans intrants ni rejet. Des graines de lupin, issues de l’agriculture biologique, assurent l’alimentation en protéines végétales des poissons. Les bacs et les tours de culture écologiques peuvent accueillir des légumes, des jeunes pousses, des fleurs et des plantes aromatiques. Les bassins des poissons seront alimentés en eau grâce à des distillateurs solaires : l’eau de condensation est récupérée et injectée dans le circuit d’irrigation animé par une pompe fonctionnant à l’énergie solaire.
Un projet pour la Méditerranée en surchauffe
La tortue est posée sur une plateforme flottante ou pilotis de 80 m2. La serre aquaponique en elle-même mesure 60 m2 et permettra de produire l’équivalent d’un potager de 300 m2. « On est dans une perspective d’autonomie alimentaire sur les territoires littoraux ! Et sur des perspectives d’emploi et d’installation pour les agriculteurs. La gestion des tortues ne nécessite que quelques heures par jour d’autant plus qu’elles seront connectables pour effectuer une surveillance à distance, de l’acidité etc. L’exploitant pourra en faire une activité rémunératrice et exercer un autre métier ou d’autres fonctions en parallèle », annonce François Plassard.
La première plateforme sera mise à l’eau en début d’année sur un étang à forte teneur en sel. C’est un choix délibéré que de tester en conditions extrêmes (les affaires maritimes et le parc naturel régional ont, par ailleurs, délivré les autorisations nécessaires). Ce projet, lauréat du Créathon 2019, mis en lumière lors du Monde Nouveau, séduit à tous les niveaux et bénéficie du soutien du Grand Narbonne.
Il est piloté depuis la pépinière Innoveum Narbonne par Bruno Cluset et implique de nombreux étudiants de l’université de Perpignan, de l’IUT de Narbonne (génie industriel et maintenance)…
C’est dire si cet embryon de solution qui répond à la difficulté de produire des légumes, des salades ou faire pousser des fleurs sur les littoraux suscite des passions. « La politique, c’est aussi raisonner le local inscrit dans une vision plus globale dans une Méditerranée qui va se réchauffer 20 % plus vite que le reste du globe et qui comptera 500 millions d’habitants très inégalement répartis en 2030 », souligne François Plassard.
Profitable, la tortue pourrait « relancer le lupin »
« C’est une nouvelle manière de produire, nouvelle manière de consommer, nouvelle manière de vivre qu’il va falloir individuellement et collectivement inventer. Parions que cette triple stratégie territoriale ‘énergie, climat, alimentation’ que nous proposons de combiner permettra d’acquérir au nord comme au sud un langage commun que pourrait être dans un premier temps la relance du lupin, protéagineuse d’origine méditerranéenne (et du chanvre sur les sols calcaires), et la mise en place de ce que nous avons appelé de l’aquaculture intégrée multitrophique en étang l’hiver et en mer l’été. L’ampleur d’un tel changement historique à concevoir et à accompagner par le politique pourrait s’appeler métamorphose au sens étymologique, changement de forme« , explique encore François Plassard.
En effet, les friches sont de plus en plus nombreuses sur le littoral. Vignes arrachées, terres à trop forte teneur en sel pourraient être mises à profit pour la production de graines de lupin.
Circuit court, économie circulaire, vision mondialisée, « manger local, manger frais, manger saison », sont les credo des Paysans Terre Mer qui veulent partir à la « reconquête de nos souverainetés-sécurités alimentaires ».
« Faire de l’eau douce, c’est tout con, avec des fûts de bière »
Mais qui est François Plassard, cet « adorable doux dingue » ? Le propos doit être pris comme flatteur. Il est ingénieur agronome et docteur en économie, diplômé de la Sorbonne. Il a pris sa retraite à Peyriac-de-Mer (11). Il fut directeur de la ceinture verte agricole lyonnaise et co-initiateur des « Jardins de Cocagneé en 1990 qui donnèrent naissance en 2000 aux Amap, (associations de maintien de l’agriculture paysanne).
Fondateur des « rencontres de l’agroforesterie » et de l’association « arbre et paysage », il est aussi président de l’association Paysans Terre Mer.
« Rien ne me ramène plus au conseil qui m’avait marqué, il y a 45 ans en lisant Vol de Nuit de Saint-Exupéry : « La vie n’a pas de solution. Elle met des forces en marche, qui ouvrent des chemins où apparaissent des solutions ! ». C’est ce que nous avons commencé à faire à plusieurs avec Bruno, Christine, Denis, Marianne, Michael, Benoit et de multiples anonymes qui sont attentifs à notre démarche ». Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?